TECHNIQUEMENT DOUCE
« Techniquement douce », cette expression singulière est empruntée à Michelangelo Antonioni, qui avait intitulé ainsi le scénario qu’il aurait voulu tourner (mais les producteurs n’étaient pas de cet avis !) après Blow Up — le film devait être réalisé pour l’essentiel dans la jungle amazonienne, et le cinéaste rêvait pour cela d’une caméra capable, ce sont ses propres mots, « de se biologiser ». Il nous a semblé que cette formule donnait assez généralement le ton des préoccupations qui animent les étudiants du Fresnoy. On pourrait a priori penser qu’une exposition de jeunes artistes n’ayant pour point commun que d’appartenir à la même école (ils sont d’âges différents, ont des parcours dissemblables et viennent des quatre coins du monde) est vouée à n’être qu’une présentation hétéroclite de travaux disparates.
Mais il est très étonnant de voir, lorsqu’on a la chance de suivre tout au long de l’année les différents projets, se dessiner quelque chose comme une préoccupation commune, qui n’est le fruit d’aucun choix raisonné, mais s’impose comme un esprit du temps. Les travaux, films ou installations, des étudiants, cette année, s’interrogent dans leur majorité sur les rapports du corps et de la technique. À l’aube de l’humanité, les outils et les cerveaux qui les inventaient évoluaient en même temps : depuis l’avènement de l’Homo Sapiens, l’évolution technique et l’évolution biologique font, en principe, bande à part. Mais l’irruption massive des technologies dites nouvelles dans nos vies conduit à se demander si cet axiome est toujours valide, et si quelque chose, dans notre rapport sensible au monde, n’est pas en train de changer pour de bon. Regardant vers un passé encore proche, ou un futur complexe, des daguerréotypes et de la peinture à la cuve jusqu’aux aux soft robots (les nouvelles technologies accélèrent aussi les échanges entre les langues …) et aux différents procédés d’images en relief, les étudiants des promotions Alain Resnais et Bill Viola posent, tous ou presque, la question, et rêvent à la douceur — et parfois à la dureté — de la technique, ou des techniques, que Le Fresnoy leur a donné la liberté d’expérimenter.
Didier Semin, commissaire de l’exposition